A quoi sert la communication de la campagne des européennes ?
- Joris Wagner
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- 9 mai 2019
- 5 min de lecture
Dernière mise à jour : 10 mai 2019

C’est le temps des prestations à la télévision, à la radio, des réunions publiques, des documents écrits, des sites web et des comptes sur les réseaux sociaux dédiés à la campagne des européennes. Ces outils de communication transmettent la vision de l’Europe des candidats. Trop rarement de leur bilan. Et pas assez sur les projets.
Il s’agit toutefois d’un moment particulier de la démocratie, dans toute l’Europe. D’où le questionnement : à quoi sert cette campagne électorale ? Comment s’effectue la communication publique ? Quels sont les véritables enjeux ?
Cette élection met en compétition 34 listes pour ce scrutin à la circonscription unique, modèle majoritaire dans l’UE. La campagne devrait assurer, au final, une meilleure transmission des connaissances susceptibles d’affiner le jugement. A l’arrivée, en leur âme et conscience, les électeurs porteront leur choix sur la continuité ou sur le changement. Le questionnement des électeurs est généralement le suivant : "Quelles sont les priorités des candidats ? Dans quel sens veulent-ils réformer l’Europe ? Quel est leur rapport à l’immigration ? A l’Écologie ? Quelle place doit tenir l’Union européenne dans le monde qui l’entoure ?".
Pour les associations et les groupes d’intérêts, cela est aussi le moment de présenter ses revendications. Outre cette socialisation politique des électeurs-citoyens, la campagne électorale constitue aussi une tribune afin que s’expriment les opinions des uns et des autres. Enfin, pour les candidats, la campagne permet aussi d’envisager - ou pas -, un tremplin politique.
Les européennes permettent aussi aux électeurs d’afficher leur insatisfaction à l’encontre des politiques publiques nationales. Toutefois, depuis une génération, elles se déroulent dans un climat de superbe indifférence avec un taux d’abstention toujours supérieur à 50 %. Le taux de 40 % pourrait même être atteint le 26 mai prochain. Les causes ? Le manque de lisibilité des politiques européennes, le peu d’intérêt porté par les différents médias et la personnalité des acteurs en compétition...
Quelle communication publique ?
La communication politique des candidats évoquée supra n’est pas unique. D’une part le Parlement européen et son bureau d’information en France et d’autre part la Représentation de la Commission européenne (en partenariat avec l’AMF) présente un kit de communication à destination des communes.
Ces outils, qu’ils soient numériques ou sous forme de brochures d’information, sont disponibles en téléchargement.
Dans l’ensemble, les stratégies de la communication numérique européenne tentent de faire participer les citoyens à la vie politique de l’UE. Ainsi, de nombreuses initiatives voient-elles le jour, qu’il s’agisse d’associations ou de médias. A l’arrivée, de multiples espaces existent où sont étudiés et débattus des enjeux politiques transnationaux. Malgré cette
«citoyenneté numérique» saluée par de nombreux universitaires, le scrutin se joue, pour une large majorité d’électeurs, surtout à la télévision.
Des électeurs mieux écoutés
Pourtant, l’avantage principal d’une campagne - pour les électeurs -, est qu’ils sont plus écoutés. Les candidats - qu’ils soient sortants ou impétrants -, font, en effet, un effort d’attention particulier. Des listes investissent sérieusement sur les réseaux sociaux telle celle du RN qui reprend les codes américains ou celle de LR qui a inauguré une formule de dialogue direct sur Internet. La campagne, dans son ensemble, participe à la socialisation politique. Elle permet aux électeurs de mieux mesurer l’offre électorale, y compris à l’intérieur du clivage gauche-droite et aussi aux extrêmes de l’échiquier politique. Les électeurs ont toutefois des filtres : ils savent aussi que les promesses n'engagent que celles et ceux qui y croient. A ce propos, les récentes déclarations de la liste LR à propos d'une meilleure maîtrise de l’immigration ont provoqué l'hilarité de milliers, voire de dizaines de milliers d'internautes.
La campagne audiovisuelle officielle
La France a fait un effort pour améliorer la participation électorale (42,4% de participation aux élections de 2014 !). La loi du 25 juin 2018 modifie en effet les règles de la campagne audiovisuelle officielle qui doit débuter le 13 mai 2019. Elle équilibre l’attribution des temps d’antenne entre les listes soutenues par des partis ou groupements ayant des groupes parlementaires et les autres listes. Dans la pratique ce temps de parole est scindé en trois parties :
1. Une durée d'émission de trois minutes pour chacune des listes;
2. Une durée d'émission de deux heures partagée entre les listes en fonction du nombre de députés, de sénateurs et d'eurodéputés déclarant les soutenir. Les élus en question doivent faire connaître leur choix d'ici le 8 mai;
3. Une dernière durée d'émission d'une heure trente répartie par le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA). Ce dernier pourra rééquilibrer les temps d'antenne des listes en fonction de leur représentativité autre que celle au Parlement, par exemple au regard des résultats obtenus lors des précédentes élections. Ainsi, si le RN pourrait pâtir de son faible nombre de parlementaires nationaux, son temps sera -t-il rééquilibré grâce à cette troisième fraction (2).
Quels enjeux ?
Outre la lutte affichée (mais rarement efficace) contre l’abstention, il s’agit de réussir la maîtrise de l’équilibre économique en respectant le libre-échange et en contrôlant le protectionnisme, d’encadrer les lobbies avec pertinence, de parvenir à une juste solidarité et de la faire admettre, de réussir la transition énergétique, d’assurer la défense climatique, de mieux contrôler l’immigration, de trouver sa juste place par rapport à la Chine, les USA et la Russie. Le rapport à l’immigration étant lui, la paramètre numéro un (ou le numéro 2) des électeurs pour se constituer une opinion avant le vote. Mais curieusement, trop de listes contournent le sujet. Dès lors, difficile de débattre, d’autant que le double jeu (national/européen) n’est pas exclu.
Quelle visibilité des électeurs sur leurs élus ?
Les eurodéputés français représentent un peu plus de 10% des sièges du Parlement. La visibilité de leurs travaux, de leurs prises de positions est quasi nulle pour les électeurs. Certains sont même accusés de travailler dans un esprit différent que la doctrine de leur parti en France. Reste que les principaux groupes parlementaires sont - sauf changement au lendemain du scrutin -, le PPE (Chrétiens démocrates) et ALDE (Libéraux) pour la Droite, du PSE (Social démocrate) pour le Centre-gauche, le GUE (Gauche unie européenne), EELV (Écologie Les Verts).
D’autres groupes accueillent les souverainistes, les eurosceptiques, conservateurs, les eurodéputés de la droite-extrême, de l’extrême-droite, populistes encore minoritaires mais qui progressent dans tous les pays de l'UE.
Les dépenses : danger de mort pour les très petits candidats
Les dépenses de communication bénéficieront d’un remboursement du plafond de dépenses électorales. Toutefois, seules les listes qui ont obtenu au moins 3% des suffrages exprimés pourront y prétendre. Sont notamment concernés, si l’on en croit les sondages, LO, le PCF, l’UDI, Les Patriotes, l’Union populaire républicaine… D’autres listes, plus marginales, envisagent même de ne pas imprimer de bulletins de vote. Restera à leurs électeurs à télécharger celui de leur choix !!!
En guise de conclusion (provisoire), il reste une constante dans cette campagne : les jeux politiques (3) l’emportent sur les enjeux éponymes. Ainsi, la crise écologique mondiale est-elle prégnante mais le débat de fond se trouve contourné. L’immigration, quelle que soit son origine, structure le vote de nombreux électeurs et là encore, les politiques ne font qu’effleurer cette thématique, comme s’ils étaient en panne d’idées. Mais aussi parce qu’ils savent que cette politique publique est plus influencée par les organisations mondiales telle l’ONU ou les traités signés que par le Parlement européen.
Dernier point, le résultat d'une campagne n'est pas lié qu'à la communication. Personnalité des têtes des listes (et celle de leur mentor), image de leurs principaux colistiers, de leurs soutiens, conjoncture économique et sociale, bilan, projet, dynamique, etc. comptent, au final, beaucoup plus que la seule communication.
Freddy Roy
Consultant en communication
Chargé de cours en communication politique à l'université Paris 13 - Sorbonne Paris Cité
Master "Communication des organisations", Parcours "Communication des entreprises, des institutions publiques et des associations" (CEIPA).
(1) 45 % des Français savent que les parlementaires européens sont élus directement par les citoyens des États membres (Eurobaromètre, décembre 2018). Cité par Th. Libaert in Le Monde du 15 avril 2019.
(2) Source Le Parisien du 5 mai 2019
(3) Les commentaires sur les sondages, les petites phrases, les crises, les incidents médiatiques.
Crédit photo : La Maison de l’Europe
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